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Brébeuf, ce n’est pas juste ça.

Je suis native de Limoilou, j’y suis née et j’y ai habité jusqu’à ma majorité. Je suis une ancienne de Saint-Fidèle et j’ai fait mes 5 années de secondaire à Jean-de-Brébeuf. J’ai déambulé plus d’une fois dans les rues de Limoilou. Parfois tard le soir, parfois tôt le matin, parfois même en pleine nuit. Ce sont ces rues qui m’ont vu grandir et à d’autres moments, qui m’ont fait grandir. Depuis hier, tout ce qu’on nomme de mon ancienne école secondaire, c’est la violence. Une vidéo d’un attroupement qui frappe à grands coups de manque d’amour. La mauvaise publicité qui vient avec et les jugements de mon quartier natal. Comme si cette vidéo était représentative d’une majorité. Chers ados, ne laissez jamais les autres forger ce que vous deviendrez.
Au primaire, j’étais une enfant plutôt docile. Je me récoltais des noms de totem du genre «souris mystérieuse» au camp Trois Saumons. Je faisais partie de la «gang», sans être celle qui avait un nouveau chum à chaque semaine. L’amie des filles cutes, c’était probablement ça mon titre. Puis, le passage vers l’école secondaire à Jean-de-Brébeuf en concentration musicale. Mes amis allaient tous à Roc Amadour et moi, je partais de mon côté. Une période d’adaptation pas facile pour l’anxieuse que j’étais déjà, j’en ai pleuré des soirs pour rejoindre mes amis. À force d’accepter cette nouvelle réalité, j’y ai rencontré de nouveaux amis. Brébeuf, c’est l’école qui m’a fait sortir de mon cocon. À Brébeuf, on trouve une grande diversité sous un même toit. Des jeunes provenant d’ailleurs, d’autres qui vivent dans la violence ou encore dans la pauvreté, qui auraient besoin d’un suivi plus serré. Et malheureusement certains qui répondent à toutes ces catégories. Il y a aussi de l’entraide, de la générosité et de l’écoute. Malgré la vidéo que vous avez pu voir. Les profs, qui y sont, sont vraiment très présents dans la vie de ces jeunes. Ils font ce qu’ils peuvent avec les ressources qu’ils ont. Ado, on ne le réalise pas, mais plus tard, on le réalise pleinement. Ces profs, ils m’ont permis de ne pas relâcher les efforts malgré mes débordements émotifs. Ces profs, ils m’ont parfois laissé, pendant des cours entiers, dessiner des affiches, organiser des événements ou rêvasser pour un projet parce qu’ils voyaient que ça, ça me faisait vibrer. Plus que la science et les maths. Ces profs, ils m’ont souvent fait confiance dans d’autres domaines que l’académique. À des moments où même moi, je n’avais pas confiance. Me permettant de découvrir mes forces, celles qu’on ne découvre pas dans un examen du ministère. Et ça, ils le font pour tous les élèves qu’ils rencontrent. Je tiens à en faire le partage, car je sais comment on se sent quand on est ado à Limoilou. On sent parfois qu’on est né pour un petit pain. Du moins, moi je l’ai senti. On pouvait difficilement l’éviter lorsque nous consultions la liste des meilleures écoles et que nous étions souvent à la fin de la liste. Nous avions pourtant d’excellents profs, qui ont réussi à réaliser des miracles.
Cher ado de Limoilou, voici donc ce que j’étais quand j’étais à ta place. Si ça peut aider qu’un seul ado, je serai heureuse. Je n’étais pas une élève particulièrement difficile et je n’irai pas te le faire croire. Je n’étais pas la hantise des profs. J’étais plutôt qu’une adolescente un peu tourmentée avec un caractère fort. Je cherchais rapidement les conflits. J’ai parfois été dans des altercations physiques à l’adolescence, mais je qualifierais ces moments d’incidents isolés. J’étais cependant toujours à la limite de l’explosion, il ne fallait pas me chercher trop longtemps pour me trouver. J’arrivais très mal à contrôler mes émotions. Je voyais blanc ou noir. Pour ne pas dire rouge ou noir. Le blanc, très peu pour moi. Il m’arrivait de vomir le matin tellement j’étais anxieuse à l’idée de passer à travers une autre journée. Et mes notes? Pas studieuse du tout. En fait, c’est une manière polie pour dire que j’étais souvent un peu en bas de la moyenne et que j’ai même échoué certaines matières comme la science ou les mathématiques. J’avais soixante-dix, parfois soixante. En fait, j’étais heureuse quand je voyais que je passais une matière. C’était pas mal ça mon but, la ligne de passage. Je me souviens, la première fois que j’ai eu 100% dans une matière, c’était au Cégep et c’était en photographie. Le feeling que j’ai ressenti… Wow! Bref, j’étais plutôt le genre à préférer dessiner et griffonner des phrases sur le coin de mon cahier. Je n’avais tout simplement pas assez d’attention pour réussir à me concentrer. Incapable d’apprendre des informations par coeur, même si j’essayais très fort. Encore aujourd’hui apprendre des choses par coeur, c’est quasiment impossible pour moi. J’ai parfois même triché, incapable de retenir de l’information. Je pouvais suivre un cours entier sans jamais savoir de quoi on avait parlé tellement je n’étais pas là. L’esprit ailleurs. Pourtant, mon cerveau fonctionnait toujours à plein régime lui. Je me souvenais de la couleur du rideau, de la gomme collée sur celui-ci, du petit oiseau sur la branche, de la bouteille d’eau tombée au sol, de la craie rose cassée en deux… Je photographiais de mémoire tous les détails anodins, mais évidemment on ne me parlait jamais de l’oiseau sur la branche en examen. Alors, ma réussite n’en était pas une aux yeux de mon bulletin scolaire. Aujourd’hui, on aurait simplement dit que j’avais un trouble d’attention, mais à l’époque  j’étais qu’une élève moyenne avec des résultats moyens. Par période, la pression de réussir et de plaire devenait trop forte. La tristesse et la rage s’emparaient de moi. On me rencontrait alors en privé parce que mes passe-temps douteux laissaient de nombreuses cicatrices apparentes sur mes bras. Je me souviens, ce pauvre prof de musique Denis, qui avait la lourde tâche de me rencontrer pour me suggérer le psychologue de l’école. Ces longues discussions avec moi, pour tenter de me faire comprendre que non, tout n’était pas noir. Je me mets à sa place et ça ne devait vraiment pas être évident. Et il avait tellement raison, tout n’était pas noir. De moi qui marchait vers la porte du psy pour finalement rebrousser chemin ou rester que quelques minutes. Je me souviens aussi une prof de morale qui n’aimait pas mon habillement. Il n’en fallait pas plus pour me déclencher, la ridiculisant devant tous les élèves, sortant de la classe complètement enragée. Finissant en marche vers la maison, plutôt que dans le local de réflexion.
À la blague, vers nos 16 ans, mon amie Joe et moi, avions décidé de dessiner notre avenir. Elle, elle avait le rêve américain… Le mari, la maison, les enfants et le chien. Son petit se nommait même Jérémi. Tout était planifié. Je la croyais, car c’était elle les bonnes notes entre nous deux. Moi, j’étais tellement perdue que j’avais préféré me dessiner entrain de faire une danse poteau avec des clients autour de moi. On avait éclaté de rire, mais je sentais qu’il y avait un fond de vérité. L’avenir que mon amie avait dessiné, je n’y croyais pas pour moi. Je me voyais vouée aux amourettes, à mes mauvaises notes et à mon émotivité incontrôlable. Un cocktail qui donnerait rien de bon dans la vie. Une belle gueule, l’impression que c’était la seule qualité que je possédais. J’avais tellement tort. Je ne voyais pas tout mon potentiel, comme toi cher ado. Il y a 1 mois, je me suis mariée dans le désert du Nevada avec un homme dont je suis follement amoureuse depuis 11 ans. Maman de deux beaux enfants, je suis aussi photographe professionnelle à temps plein. Je suis ma propre boss, j’adore mon métier, je fais un bon salaire et mon sentiment d’accomplissement est immense. Auteure de deux livres, formatrice à mes heures, gestionnaire de réseaux sociaux, je n’arrête jamais et j’adore ça. Tous des métiers où les notes en science ne changent rien, mais dans lesquels les connaissances générales et les expériences de vie sont importantes. Mon cerveau est enfin utilisé à sa juste valeur et ce, même si je n’étais pas première de classe. Ma réussite, c’est de m’accomplir dans ma passion. D’avoir du fun et d’être payé pour ça. Des cas comme moi, il y en a beaucoup plus que vous le croyez. Des travailleurs sociaux, des infirmières, des médecins, des aides humanitaires, des pompiers, des policiers, des entrepreneurs et j’en passe. Autant de parcours que de gens, mais définitivement pas que les épaves que la société aime parfois s’imaginer. Quand des vidéos comme celui d’hier circulent, chers ados de Limoilou, c’est à vous que vous faites du mal. C’est cette réputation qui vous colle à la peau et qui fait croire que vous valez moins que ce que vous êtes vraiment. Vous finissez même par y croire. Même les vilains petits canards peuvent se transformer en cygnes. Rêvez, avancez et faites tout ce qui est en votre pouvoir pour réussir à devenir la personne que vous rêvez d’être. Ne cessez JAMAIS de rêver.
Chers ados, pourquoi ne pas leur montrer vos forces à la place? Sachez que vous en avez de nombreuses. Vous avez une facilité à vous adapter à une foule de situations et aux autres. Ce qui pourrait faire de vous d’excellents gestionnaires. Étant plongés dans un environnement très hétérogène, vous êtes ouverts sur le monde et ses enjeux. Ce qui pourrait faire de vous d’excellents travailleurs sociaux ou même des politiciens. Vous apprenez à vivre avec les échecs et ça, ça vous aidera à trouver des solutions plus rapidement que tout le monde. Ce qui pourrait faire de vous d’excellents entrepreneurs. Vous êtes parfois plus émotifs et avez vécu des émotions plus tôt que les autres. Ce qui pourrait faire de vous d’excellents artistes. Ne laissez pas vos possibilités se limiter à une bataille sur le coin d’une rue. La vie, vous savez, ce n’est pas ça. Ce n’est pas de se bomber le torse parce qu’on a couché le plus petit. C’est de tendre la main et l’aider à se relever, montrant votre bonté et votre amour des autres. La vie, ce n’est pas non plus de regarder celui qui se bat en l’idolâtrant. Je vous le dis, ceux qui déclenchaient les batailles à mon époque, sont souvent devenus des gens que personne ne veut désormais côtoyer. Des vieilles connaissances que l’on croise en changeant de côté de rue. Faites-moi confiance, vous ne voulez pas être ces personnes. C’est le temps de prendre des décisions pour ne pas devenir cette personne, car c’est à l’adolescence que vous avez ce pouvoir!
Que reste t’il de Brébeuf, maintenant que j’ai terminé depuis plus de 10 ans? Ma passion des détails est devenue mon travail. L’oiseau sur la branche, je le remarque toujours. Parce que pour faire ce que je fais aujourd’hui, j’avais finalement besoin de cette qualité qui était auparavant un défaut. Ma détermination et ma fougue d’autrefois, maintenant dirigées dans l’innovation de mon entreprise. J’avance à pas de géant, car je refuse les portes fermées. Mon émotivité à fleur de peau et mon impulsivité me guident pour saisir la vulnérabilité de mes clients. Pour les rendre à l’aise, pour mieux saisir l’essence de leur regard. Mon goût du voyage, ma facilité à communiquer, à organiser, à créer, c’est de Brébeuf que ça me vient…
Des anciens élèves qui suivent leurs passions, qui réussissent bien, qui sont heureux et qui deviennent des gens honnêtes et respectables,  il y en a une foule. Des anciens élèves qui n’étaient pas tous des premiers de classe et qui pourtant aujourd’hui, prouvent qu’ils n’étaient pas nés pour un petit pain. Mais ça, les nouvelles n’en parleront pas.

 

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